Musique

Lame en si bémol – Musique et écriture

La musique fait partie intégrante de Lame en si bémol. Ceci étant, les lecteurices de Chocolat blanc et matcha latté pourraient s’étonner de ce choix de focus: si le récit se déroule du point de vue de Baptiste, pourquoi la musique plutôt que la cuisine? On m’a déjà posé cette question à plusieurs reprises, mais il me serait difficile de donner une réponse concise. D’où ce post! Attention, pavé en vue et série probable! ^^

Avant-propos

La musique fait partie intégrante de Lame en si bémol. Ceci étant, les lecteurices de Chocolat blanc et matcha latté pourraient s’étonner de ce choix de focus: si le récit se déroule du point de vue de Baptiste, pourquoi la musique plutôt que la cuisine? On m’a déjà posé cette question à plusieurs reprises, mais il me serait difficile de donner une réponse concise. D’où ce post! Attention, pavé en vue et série probable! ^^

Mon rapport personnel à la musique

Il me serait difficile de parler de la musique dans Lame en si bémol sans expliquer mon propre rapport à la musique, que ce soit en règle générale ou dans le cas précis de l’écriture.

Si vous l’ignorez, c’est à travers la musique que je suis entrée en contact avec la culture japonaise pour finalement m’installer dans le pays quelques quinze ans plus tard. Comme beaucoup de personnes de ma génération, j’avais accès aux mangas et aux animés assez facilement. Ce sont les chansons insérées dans ces derniers qui m’ont fait tomber amoureuse de la consonance d’une langue qui n’avait rien à voir avec ce que je connaissais jusque-là (j’apprenais déjà l’anglais et l’allemand depuis la sixième, et j’avais déjà le goût de tout ce qui touche à la linguistique à cette époque. Cette tendance n’a fait que se renforcer avec le temps). Après avoir tenté de transcrire les paroles en tendant l’oreille pour pouvoir les chanter dès que l’envie me prenait, je suis passée à la vitesse supérieure et j’ai appris l’alphabet, quelques bases de grammaire… En bref: la musique a été une porte d’accès sur toute une culture, un moyen de m’évader d’un quotidien qui me pesait, au sens propre comme au sens figuré.

Aujourd’hui encore, j’écoute quasi-exclusivement de la musique japonaise. Ce sont les goûts que j’ai formés étant plus jeune, et s’ils m’ont longtemps mise à l’écart de beaucoup de discussions avec les gens de mon âge dans mon pays d’origine, c’est toujours une agréable surprise de voir que je partage de nombreuses références musicales avec mes collègues actuels, comme si j’avais grandi dans une culture d’emprunt. Si vous suivez mes stories sur Instagram et que vous vous demandiez pourquoi je choisis presque toujours des morceaux japonais quand je décide de les mettre en musique: vous avez la réponse.

Musique

Musique et écriture

Dans le cadre plus strict de l’écriture, la musique est là encore un outil. Je fais partie de ces gens qui visualisent le film de leur roman avant de l’écrire, et la musique m’aide à me vider la tête pour atteindre cet état d’esprit où je peux me laisser dériver au fil de ce que m’apporte mon imagination. C’est une aide précieuse à la créativité, et il m’est facile de choisir le bon morceau, la bonne playlist, pour correspondre à l’ambiance de telle histoire, tel personnage, telle scène.

J’ai généralement une playlist par projet et par étape. Pour Chocolat blanc et matcha latté, cela représente donc deux playlists: une pour la rédaction initiale du premier brouillon (2016) et une autre pour la réécriture (2018). La musique que je choisis d’écouter évolue naturellement avec mes textes et la direction que je souhaite leur faire prendre. Fut un temps, je pouvais me concentrer sur la musicalité d’un morceau uniquement et ça avait ses avantages, mais aujourd’hui, je comprends trop bien le japonais pour que ce soit encore possible. Les paroles ont donc leur importance, mais chance! la mode est aux chansons à textes, en ce moment. Le japonais aime les images plutôt que les faits, l’ambiguïté et les double-sens: c’est une mine d’or d’inspiration, en ce qui me concerne.

La musique comme échappatoire

Assez parlé de moi, revenons à Lame en si bémol. C’est mentionné dans Chocolat blanc et matcha latté, Baptiste aime la musique. Ce qui était un détail du point de vue d’Elliot prend toute son importance dans ce second récit: la musique est pour Baptiste un moyen d’extérioriser, à travers la danse, mais également une porte d’accès vers la poésie, dont il a cruellement besoin pour rendre le monde supportable. C’est aussi l’une des rares options qui s’offrent à lui. Dyslexique qui s’ignore, il ne lit qu’avec grande difficulté, et la télévision ne lui est accessible qu’au risque de croiser son père dans le salon: pour lui, le choix est vite fait.

Là où la cuisine est la voie professionnelle qu’il a choisie et de laquelle il espère vivre, la musique lui permet d’aller au-delà du plan strictement matériel et redonne un peu de couleurs à une existence trop terne.

La playlist de Lame en si bémol

Une fois qu’il était établi que la musique aurait une place cruciale en toile de fond du récit, élaborer une playlist pour ce projet n’avait plus le même sens ni le même poids. Si la musique que j’ai choisie pour le premier brouillon était essentiellement centrée sur l’ambiance, j’ai pris le temps de décider d’une direction pour construire celle de la réécriture.

Chaque morceau ou presque correspond à un chapitre, auquel il prête son titre. J’ai longuement hésité à inclure des morceaux plus connus du public français que ce que j’écoute d’ordinaire, avant d’abandonner cette idée. J’aurais eu l’impression de travestir qui je suis et le sens profond que je voulais donner à cette démarche.

Adieu donc les références faciles et les groupes mythiques: je verse dans ce que je connais, dans ce qui me fais vibrer, c’est-à-dire le rock et la pop japonaise avec une préférence très marquée pour les chansons à texte. Peut-être pas le choix le plus intelligent et définitivement pas le plus commercial, mais hé, si je savais rentrer dans des cases, vous l’auriez remarqué depuis longtemps.

Le travail de traduction

Comment? Traduction? D’où tu changes de sujet aussi brutalement, Rash.?

Je l’ai mentionné plus haut, je voulais que chaque chapitre soit un titre de chanson. Sauf que si j’intitule sobrement mon chapitre trente « 僕が死のうと思ったのは », ça va vous faire une belle jambe, de même que si je transcris bêtement « Boku ga shinou to omotta no wa ». Traduire, donc.

Ah ah ah.

Un truc en savoir si vous n’avez pas bouffé de la traduction en masse au cours de vos études: traduire, c’est trahir. Il n’y a pas toujours d’équivalent fidèle, et le travail de traduction implique de faire des choix. Quand vous traduisez un texte à visée scientifique, c’est fastidieux à cause du vocabulaire spécifique mais souvent plus simple: paraphraser longuement pour restituer le sens factuel sera la voie à suivre, quitte à vous exprimer dans un style complètement différent de l’auteurice original.e. Quand on entre dans le littéraire, les choses deviennent plus compliquées: il faut respecter le style d’origine, tout en conservant le sens, sans aller trop loin au-delà (ou en-deçà) du texte en langue source. Plus vous avez de contexte, plus le travail a des chances d’être aussi fidèle que possible. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est préférable pour un.e traducteurice de travailler en concertation avec l’auteurice: ce.tte dernier.e peut fournir des éléments de contexte qui ne figurent pas textuellement dans le document de base.

Est-ce que vous commencez à voir le problème?

Un roman, passe. Un texte poétique, c’est l’enfer à traduire. Je pèse mes mots. C’est précisément le genre de texte où l’on joue avec les nuances spécifiques de la langue, et va-t-en retranscrire la concision de l’anglais vers une langue comme le français sans massacrer le rythme d’origine, tiens.

Moi, je bossais depuis le japonais. Une langue qui adore les double sens et l’ambiguïté, donc, et si vous croyez que ça m’a facilité le travail, reconsidérez votre position. Quand ce sont ces deux interprétations possibles qui donnent toute leur beauté au texte de la chanson, comment choisir entre les deux traductions très différentes qui vont correspondre à l’une ou l’autre de ces lectures?

Un exemple concret

Parlons un peu de cette chanson de Novelbright: « Evening Primrose », ou « 月見草 » (lire tsukimisou, le -u à la fin signifie seulement que le -o est long). Le titre nous fait même la courtoisie d’être disponible en deux langues. Ça ne peut pas être si compliqué, pas vrai?

Ah ah ah. (x2)

C’est quoi, evening primrose en français? Ah, oui.

Onagre. Plus précisément, onagre bisannuelle, selon Wikipédia. La même page m’apprend que les surnoms « primevère du soir » ou « belle de nuit » sont courants. Pour celleux qui n’ont aucune idée de ce que c’est que cette plante, allez jeter un œil. « Primevère du soir » ne m’évoque rien de visuel, tandis que « belle de nuit » me plaît mais me renvoie aussi vers une toute autre fleur. Ni l’une ni l’autre des deux propositions ne rend honneur à ce que propose le japonais: littéralement, « l’herbe qui regarde la lune ». Il y a cette idée d’être tourné vers la lumière, quand bien même la source en serait plus faible, moins fiable.

Au final, c’est d’ailleurs ça le plus important: il faut que ça fasse sens avec mon texte, celui auquel je suis en train d’attribuer un titre, quitte à m’éloigner un peu de ce que voulait l’original. J’ai plus d’une fois eu tendance à perdre ça de vue lors du processus de recherche d’idée.

C’était décidé: je partais du japonais plutôt que de l’anglais. Mais je ne pouvais pas rester sur « l’herbe qui regarde la lune », n’en déplaise.

Petit détour pour vous expliquer mon choix final: le japonais ADORE jouer sur la graphie de ses mots, surtout dans les textes littéraires et poétiques. Une chanson de Yorushika que j’adore, « 噓月 », le fait avec finesse. La prononciation, « usotsuki », renvoie simplement au concept de « menteur », mais la graphie « fautive » sur le deuxième caractère joue de cette prononciation et écrit « lune » (« tsuki »). Concrètement, l’artiste vient de créer un mot nouveau.

Et c’est exactement ce que j’ai choisi de faire. « Tsukimisou » est devenu « Tournelune », parce qu’après tout, si le japonais invente des mots en permanence, je ne vois pas pourquoi je devrais me priver.

Aucun regret.

Le mot de la fin

Je pourrais parler pendant des heures des choix de morceaux et du processus de traduction qui en a découlé. D’ailleurs, je le ferai dans un prochain article. Pour l’heure, sachez simplement que ça s’est révélé être un casse-tête, et que si mon premier chapitre s’intitule « Aaah! », au moins, ça résume assez bien mon état d’esprit sur le moment.

Sur ces belles paroles, je vous souhaite une belle journée et à très bientôt!